Sans agriculteurs, pas de souveraineté alimentaire, pas de territoires vivants, pas de société durable. Face aux défis environnementaux et économiques, le secteur agricole doit se réinventer. De cette mutation, assez brutale, naissent de nouveaux métiers, essentiels pour accompagner les exploitants et préparer l’avenir.
L’agriculture française : pilier vital en mutation
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France était encore largement dépendante d’importations alimentaires. L’un des objectifs prioritaires des politiques publiques d’après-guerre fut la modernisation agricole — mécanisation, pour pallier à la pénurie de main d’œuvre, et soutenue par la Plan Marshall, usage d’intrants chimiques, sélection génétique — pour bâtir une agriculture productive, capable de nourrir la nation et de soutenir l’essor des industries agroalimentaires.
Des chiffres explicites : dès les années d’après-guerre, la modernisation agricole passa par des importations massives de matériel. En 1946, près de 3 000 tracteurs américains (Farmall, John Deere, Massey-Harris…) auraient été importés selon certains récits d’histoire agricole1. Entre 1948 et 1950, on compte environ 48 000 tracteurs introduits dans les campagnes dans le cadre des plans de reconstruction et de modernisation.
Cette dynamique s’est prolongée durant les Trente Glorieuses, faisant de l’agriculture un secteur stratégique, au cœur de la souveraineté nationale, de l’identité territoriale et du développement rural. Mais avec de nouvelles dépendances, de nouvelles pratiques, de nouveaux stress, l’endettement au crédit agricole… Une contre-culture pour le monde paysan, autonome, vaillant et digne.
Mais depuis plusieurs décennies, l’agriculture française entre dans une phase critique. Le nombre d’exploitations a diminué de façon spectaculaire :
- En 1970, la France métropolitaine comptait environ 1 587 600 exploitations2.
- En 2020, ce chiffre est tombé à environ 390 000 exploitations métropolitaines3 — soit une division par quatre en cinquante ans.
- Sur l’ensemble du territoire (métropole + outre-mer), on recense environ 416 346 exploitations actives en 20204.
Cette réduction drastique reflète une tendance de concentration : les exploitations restantes deviennent plus grandes, plus spécialisées, et absorbent en taille ce que perdent les petites fermes.
Mais derrière ce recul, c’est un malaise social profond qui s’exprime. Le métier d’agriculteur est aujourd’hui un des plus exposés au stress, à l’isolement, à l’incertitude économique, aux risques sanitaires et à la pression continue. Le phénomène du suicide en milieu agricole en est l’un des indicateurs tragiques. Plusieurs études mettent en évidence une surmortalité par suicide parmi les exploitants :
- Entre 2010 et 2011, on a dénombré 253 suicides chez des hommes agriculteurs et 43 chez des femmes agricultrices5, soit environ 300 décès sur deux années.
- Comparativement à la population générale, les assurés agricoles âgés de 15 à 64 ans présentent un risque de mortalité par suicide supérieur de + 43,2 %6.
- Une étude de Santé publique France indique qu’en 2008/2009, l’excès de mortalité par suicide chez les hommes agriculteurs était de + 28 % en 2008 et + 22 % en 20097.
- En 2021, le sur-risque suicidaire pour les non-salariés (exploitants) a encore crû : + 6,4 % pour les 15-64 ans, + 10,6 % pour les 65 ans et plus8.
« Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », Sully, ministre d’Henri IV.
Pourtant, malgré cette crise profonde, les agriculteurs restent des acteurs indispensables. Ils dessinent les paysages, entretiennent le tissu rural, assurent la sécurité alimentaire, participent au maintien de la diversité biologique, et portent une part de ce que la France a de plus enraciné.
Bien que tout soit perfectible, l’agriculture française est l’une des plus vertueuses et fiable au monde en particulier sur le plan environnemental, de la traçabilité et de la sécurité alimentaire.
N’hésitez pas à échanger à ce propos avec des agriculteurs, éleveurs, vignerons mais aussi des vétérinaires, enseignants et chercheurs !
Les grands enjeux de la transition agricole
- Souveraineté alimentaire : nourrir une population croissante tout en maintenant des standards sanitaires élevés.
- Agroécologie : réduire l’usage des intrants chimiques, restaurer la fertilité des sols et favoriser la biodiversité.
- Climat et carbone : adapter les cultures aux aléas climatiques, développer des pratiques de stockage carbone et limiter les émissions de GES.
- Eau et qualité des milieux : réduire les pollutions diffuses, préserver la ressource hydrique, restaurer les zones humides.
- Énergie et économie circulaire : méthanisation9, biomasse, agrivoltaïsme, valorisation des co-produits agricoles.
- Société et territoires : répondre aux attentes des consommateurs (bio, circuits courts), maintenir le tissu rural et les emplois agricoles.
Se diversifier pour survivre : de nouvelles opportunités professionnelles
La mission première de l’agriculteur reste et doit rester universelle : nourrir les hommes. Pourtant, la pression économique, la concurrence internationale, l’évolution des attentes sociétales et les contraintes environnementales poussent de plus en plus d’exploitants à se diversifier.
Cette diversification, parfois vécue comme une dénaturation de la fonction nourricière, ouvre néanmoins la voie à de nouveaux métiers, nouveaux services et nouvelles sources de revenus pour les nouvelles générations d’agricultrices et d’agriculteurs.
Tourisme rural et accueil à la ferme
- Chambres d’hôtes, gîtes et fermes-auberges
- Ferme pédagogique et activités de découverte pour les scolaires
- Agrotourisme, oenotourisme et circuits de randonnée thématiques
Vente directe et circuits courts
- Boutique à la ferme et marchés de producteurs
- Vente en ligne, paniers AMAP, drive fermier
- Transformation à la ferme (fromages, confitures, bières artisanales, etc.)
Production d’énergie et économie circulaire
- Méthanisation agricole (biogaz, valorisation des effluents)
- Installation de panneaux photovoltaïques (toitures, serres, agrivoltaïsme)
- Chaufferies biomasse et valorisation des co-produits
Services et nouvelles activités
- Entretien de paysages et gestion écologique (fauchage, haies, prairies, zones humides)
- Prestations de services agricoles pour collectivités ou entreprises
- Éco-pâturage et gestion pastorale
- Accueil social et thérapeutique à la ferme (fermes d’insertion, médiation animale)
Innovation et niches de marché
- Production de plantes aromatiques et médicinales : témoignage d’un cueilleur de PAM
- Filières émergentes : chanvre, grenadier, Aloe vera, thé,…
- Services numériques agricoles (capteurs, données, agriculture de précision)
Cette diversification permet de compenser la fragilité économique de nombreuses fermes, mais pose aussi une question de fond : jusqu’où un agriculteur doit-il aller dans la multiplication des activités pour survivre, au risque de s’éloigner de sa vocation première ?
Cette tension nourrit le débat sur l’avenir du métier et explique pourquoi tant d’emplois “nouveaux” gravitent désormais autour du monde agricole. Ainsi elle ne concerne pas uniquement les exploitants eux-mêmes : elle fait émerger de nouvelles compétences et de nouveaux métiers d’accompagnement, accessibles aux étudiants et professionnels formés aux enjeux agricoles et environnementaux.
Quelles opportunités professionnelles dans l’agriculture durable ?
La transition agricole génère de nouveaux métiers et transforme des fonctions existantes. Ces postes sont parfois méconnus et offrent des perspectives variées aux étudiants, diplômés et professionnels en reconversion.
1. Les conseillers agricoles spécialisés
- Conseiller agroécologie : accompagne les exploitants dans la mise en place de pratiques durables (rotation, couverts végétaux, agroforesterie).
- Conseiller agriculture biologique : soutien aux conversions, certification, suivi technique des fermes bio.
- Conseiller gestion de l’eau et irrigation : adaptation aux sécheresses et économies d’eau.
2. Les chargés de mission en transition
- Chargé de mission climat/carbone : évalue les émissions, développe des projets bas-carbone et accompagne les exploitants vers la neutralité.
- Chargé de mission énergie/méthanisation : accompagne les projets de valorisation énergétique (biogaz, biomasse, photovoltaïque agricole).
- Chargé de mission biodiversité : met en place des programmes de restauration des haies, prairies et zones humides.
3. Les métiers liés aux filières et aux territoires
- Animateur territorial agricole : coordination de projets collectifs (circuits courts, plans alimentaires territoriaux, démarches territoriales agroécologiques).
- Expert filière bio ou AOP : appui technique et économique sur les produits labellisés et circuits de qualité.
- Technicien en coopératives agricoles : suivi des adhérents et développement de nouvelles pratiques durables.
4. Recherche, innovation et enseignement
- Ingénieur agronome spécialisé en environnement : recherche appliquée sur les pratiques culturales durables.
- Chercheur en sciences du sol, climat et biodiversité : participation à l’innovation scientifique en appui aux politiques agricoles.
- Formateur en agriculture durable : transmission des savoirs et compétences auprès des futurs exploitants.
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Les enjeux pour l’avenir de l’agriculture
Un secteur en recherche de compétences
Alors que le nombre d’agriculteurs ne cesse de décroître, la demande en profils capables d’accompagner la transition ne cesse de croître !
Les métiers liés à l’agriculture durable ne se limitent pas aux exploitations elles-mêmes. Ils se déploient dans un vaste écosystème d’acteurs publics, privés et associatifs, qui travaillent aux côtés des agriculteurs pour accompagner les transitions techniques, économiques et environnementales.
Exemples d’employeurs potentiels :
- Chambres d’agriculture : conseil, accompagnement et formation des exploitants.
- Instituts techniques agricoles : expérimentation et diffusion des innovations.
- Coopératives et filières : suivi technique, organisation collective et développement de filières de qualité.
- Collectivités locales : gestion de l’eau, alimentation durable, planification territoriale.
- Associations : projets de biodiversité, circuits courts, appui aux paysans, fermes urbaines agroécologiques.
- Entreprises privées : conseil agronomique, biotechnologies, solutions numériques et énergies renouvelables, consultants en agroforesterie.
L’accès au foncier pour les nouvelles générations
L’installation de jeunes agriculteurs est un défi majeur. Le vieillissement de la population agricole, la hausse des prix du foncier et la complexité des transmissions rendent difficile l’accès à la terre, en particulier pour les jeunes qui ne sont pas issus du milieu agricole.
Or, sans renouvellement générationnel, la pérennité de notre agriculture est menacée. Des dispositifs comme les banques de terres, les coopératives foncières citoyennes (Terres de Liens) ou les aides à l’installation visent à lever ces obstacles et à donner leur chance à une nouvelle génération d’agriculteurs engagés dans la transition écologique.
Former les agriculteurs de demain
L’avenir de l’agriculture repose aussi sur la qualité de son enseignement. L’enseignement agricole occupe une place stratégique pour transmettre les savoir-faire techniques, promouvoir l’agroécologie, former aux nouvelles technologies et sensibiliser aux enjeux climatiques et environnementaux.
De la formation initiale (lycées agricoles, écoles d’ingénieurs agronomes) à la formation continue, il constitue un levier essentiel pour préparer des professionnels capables d’innover, de diversifier leurs activités et de répondre aux attentes sociétales.
Plus que jamais, il faut affirmer : vive l’enseignement agricole !
Jérôme, octobre 2025
Sources
(1) « Le plan Marshall a marqué le monde agricole ». La voix du Nord, avril 2023.
(2) Recensement agricole 1970 — Agreste / Insee : 1 587,6 milliers d’exploitations en 1970. Insee
(3) Recensement agricole 2020 — France métropolitaine : près de 389 800 exploitations. Agreste (PDF)
(4) Chiffres clés 2024 — Chambres d’agriculture : 416 346 exploitations actives (métropole + DOM). Chambres d’agriculture
(5) Observations 2021, MSA : sur-risque + 6,4 % (15-64 ans), + 10,6 % (65+). PleinChamp
(6) Rapport sénatorial / Santé publique : 253 suicides hommes + 43 femmes (2010–2011). Sénat
(7) Étude MSA : risque de mortalité par suicide + 43,2 %. MSA
(8) Santé publique France : excès de mortalité + 28 % (2008), + 22 % (2009). Santé publique France (PDF)
(9) Filière méthanisation : besoins en formations et compétences – Céreq, avril 2017.